Orange ayant eu la délicatesse de détruire tous les sites de ses clients, nous reconstituons actuellement celui du Baron de Vastey chez un autre hébergeur. Pour suivre l'évolution des travaux , cliquer ICI
Pour ce qui
est de la vie de château, l'image est vite ternie à l'aune de la
réalité. Si j'ai bien été opérateur radio dans un bureau lumineux de la
Préfecture maritime, la bannette où je dormais se situait dans un
infâme souterrain creusé par les Allemands. Le quart terminé, nous
descendions donc dans ce trou à rats par un interminable escalier. Il conduisait à des dortoirs surpeuplés qui sentaient le fauve.
En revanche, l'appartement dont je disposais en ville avait une autre allure. Au 16 de la rue de l'Eglise, je partageais cette location avec quelques camarades : Didier Legrand, grand blond de Conflans-Sainte-Honorine dont les yeux bleus faisaient chavirer le cœur de toutes les Brestoises, Pascal l'Auvergnat, sympa comme tous les Auvergnats, Guy De Rubia, une boule d'humour Pied Noir qui fera plus tard carrière dans la Securité enfin Pierre Deshayes, dit le baron, fils d'un armateur cherbourgeois ruiné au jeu...
Mutants à la tombée du jour, nous venions troquer là nos uniformes contre des hardes civiles, étancher une soif inextinguible et, ce faisant, constituer un orchestre injustement récompensé par des menaces d'expulsion. J'ai passé des soirées à accompagner à la guitare un poète en devenir, Paol Yann Kermarc'heg. J'y ai même connu l'amour dans les bras d'une douce et blonde brestoise prénommée Monique tandis que dans la chambre voisine, avec l'ami Pierre, sa sœur Dominique... Enfin bon, je ne vais pas vous chanter le refrain de sœur Sourire.
Revenons vite à cette maison qui, vous l'aurez compris, marque ma croissance d'une pierre blanche. Je ne sais à qui mes camarades réglaient le loyer. J'ignorais encore plus que cette demeure était l'une des plus anciennes de de Recouvrance. Surnommée la maison du Châtel, elle semblait vivre encore au temps de la Marine en bois. Bien avant d'être celle des matelots sans classe que nous étions, ce fut paraît-il la résidence d'un sénéchal au XVIIIe siècle. C'est du moins ce que répètent encore à l'envi les dépliants touristiques. Alors fouette cocher, nous partons à sa recherche...
La maison près de la fontaine...
Située dans un renfoncement à l'angle de la rue de la Pointe et de celle de l'Eglise, la façade de notre maison forme l'un des côtés d'une petite place triangulaire et pavée. Un autre côté de cette figure géométrique est constitué par une fontaine monumentale. Au centre de cette placette s'élevait jadis une croix de pierre au Christ grossièrement sculpté. L'endroit s'appelait alors le cimetière des Noyés et les passants des temps anciens ne manquaient jamais de se découvrir en récitant un Requiem. La croix est aujourd'hui fichée dans un angle de la maison dite de la Fontaine, sise en 18.
Combien de fois suis-je passé devant cette fontaine sans trop la regarder. Hors service, elle était alors profondément silencieuse. Je me suis simplement assis au moyen d'un derrière inculte sur sa margelle pour tenter de trouver de nouveaux accords sur mon luth à bas-prix. Antérieur à la construction de ''ma'' maison, ce point d'eau est né de la volonté d'un maire de Brest, Lunven de Kerzibodec, élu le 17 novembre 1759. Sa nomination récompensait un dévouement sans compter lors d'une récente épidémie. Dès 1760, des crédits furent affectés à cette réalisation On grava à son fronton une inscription latine ainsi traduite : « Si ta soif, Brestois, si ta soif grâce au maire Lunven est apaisée par cette onde, gardes-en souvenir dans ton cœur reconnaissant. » J'avoue encore une fois n'avoir guère triomphé de la pépie en ce lieu et surtout pas grâce à l'eau. Mais je reste redevable au maire de Brest de m'avoir instillé à vie la douce nostalgie de sa ville. Cette inscription s'accompagnait d'une fleur de lys qui fut épargnée par les Révolutionnaires de 89. Il fallut attendre ceux de 1830 pour la voir disparaître, assuraient les derniers vieillards qui avaient pu la voir.
L'hôtel de Lauzun
C'est entre 1771 et 1773 que furent construits l'hôtel particulier où j'ai pris mes quartiers mais aussi la « maison du Tribunal », comme l'appelleront longtemps les anciens du quartier. Ces travaux furent commandités par le duc de Lauzun, héritier par sa mère de la baronnie du Châtel qui étendait son emprise sur Recouvrance. Ainsi, la justice seigneuriale qui siégeait depuis 1520 au 20 de la rue de la Tour trouva-t-elle rue de la Pointe des locaux plus spacieux. En des temps encore plus reculés, elle avait tenu ses assises dans la Tour de la Motte-Tanguy. De ses fenêtres, elle eut une vue imprenable sur le château, la rade et à ses pieds la batterie du Cavalier établie 20 ans plus tôt et conçue pour aligner 20 canons.
Quant à la
rue de l'Eglise, elle portait encore le nom de Notre-Dame, dix ans
avant la Révolution. Là, l'hôtel particulier adossé au tribunal
fut-il habité par le duc de Lauzun ? On peine à l'imaginer. Ce
grand séducteur est plus présent à Versailles que dans sa
seigneurie. Quand il n'est pas à l'étranger. Rien dans son journal
n'indique un séjour dans cette maison. Mais on l'a bien aperçu à
Brest avant les travaux. Notamment en 1766 quand il baptise une
cloche de Saint-Sauveur en compagnie de l'épouse du sénéchal de la
juridiction, Jean Baptiste Tanguy Lunven de Coatiogan, fils de notre
maire-fontainier.
Coatiogan est l'époux d'une Bergevin et cette famille occupe pratiquement tous les postes judiciaires et administratifs de Brest. Aussi, quand en 1776 un Bergevin veut devenir sénéchal de Brest, la municipalité d'alors s'y oppose, arguant que l'on ne peut déjà plaider nulle part sans être jugé par un Bergevin. Vaine protestation. Ce clan continua donc de régner sur la justice. Faites-vous appel d'un jugement prononcé chez Coatiogan que vous aurez affaire à ses deux beaux-frères.
Avant de prendre la mer, les capitaines de navires se rendent rue de la Pointe pour y signer procuration quant à la gestion de leur bien en faveur de leur épouse.
Le 16 janvier 1776, la juridiction du Châtel fait ouvrir les troncs de Notre-Dame de Recouvrance par le bedeau, Antoine Poidevin. Il y a là « Me François-Marie Floc'h Demaison, premier substitut, Gabriel Chemit (Smith), notre procureur fiscal et Jean Pellota, greffier. » Les fonds et le PV sont déposés au greffe, rue de la Pointe.
Le Prince de la Banqueroute
En 1777, le
duc de Lauzun, seigneur de Recouvrance, publie un « Etat de
défense dans les quatre parties du monde ». On le voit alors
comme un fin stratège et il est envoyé à l'assaut des possessions
anglaises dans la région du Sénégal. Mais, endetté, il vend sa
seigneurie du Châtel le 11 mars 1778 au prince de Rohan-Guéméné.
Exit le duc de Lauzun qui sera l'amant de Marie-Antoinette, une
figure de l'indépendance américaine, un adepte des idées
nouvelles, général de la Révolution et finalement un guillotiné
idéal.
En attendant, voilà qui ne change rien au sort de Lunven de Coatiogan. Il a toujours le titre de premier magistrat civil, criminel et de police de la juridiction du Châtel quand, les 10 et 11 novembre 1778, on procède au contrôle des poids du meunier de François Crauzon, du moulin de Kersymon, en Plourin. Floc'h de Kerambosquer est alors procureur et Brélivet sergent de Recouvrance.
Le prince de Rohan jeune...
En 1780, le Prince prend du galon à la cour. Il est promu brigadier des armées du Roi. Donnant de somptueuse réceptions, Rohan réside plus volontiers en son hôtel de la place Royale, actuelle place des Vosges, qu'en celui de Recouvrance.
En 1782, Lunven de Coatiogan arbore les titres de « conseiller du roi, son avocat & procureur au siège de l'Amirauté de Brest pour toute l'étendue de l'évêché de Léon. » En 1784, il est toujours sénéchal de Recouvrance. Les déboires de son maître, un an plus tôt, n'ont donc rien changé à son état. Rohan-Guéméné avait notamment capté les économies de trois-quarts des Brestois contre la promesse de rentes. Mais c'est la banqueroute. En août 1786, ayant fait faillite, le prince ruiné revend son fief de Recouvrance au Roi.
Entre temps, le 6 juillet 1785, Coatiogan et son procureur fiscal, Duplessis-Smith, sont les témoins d'un mariage intéressant à l'église Saint-Sauveur. Celui de Jacques Rebour, un maître d'équipage originaire de Criquebeuf et Claudine Bozec, née à Saint-Pol. Les autres témoins sont Jean Thomas Daras, fourrier des bombardiers, Nicolas Hérout, canonnier, Pierre Frémine et autres... (GG 406/46). Oui, mariage intéressant car on va retrouver ce couple dans l'hôtel Lauzun. A partir de quand ? Mystère. En tout cas très vite.
Chez Louis XVI !
Rue de la Pointe, le siège de l'Association des Amis de Recouvrance, l'ancienne maison de Justice et la maison du Châtel. (Archives de la Ville de Brest).
Avec la faillite de Rohan, le 1, rue de la Pointe, siège de la juridiction du Châtel, est propriété de Louis XVI. Lunven de Coatiogan y est recensé en 1790 comme procureur du Roi, âgé de 52 ans, en compagnie de Benjamin Duplessis-Smith, avocat, 56 ans, originaire de Quimperlé et cousin de la famille. (AMB 1F15/73). Le premier vit avec sa femme et trois domestiques. Le second est veuf de Marie-Joseph Lunven de Kerbiquet. Smith a été le procureur fiscal de la seigneurie du Châtel. Une veuve est sous son toit, deux enfants, Joseph et Marie et trois domestiques.
Smith est d'origine irlandaise. Il multiplie les charges et mandats électifs et possède encore les 24, 25 et 26 de la rue de l'Eglise. C'est un acteur de la Révolution à Brest comme l'est Coatiogan. Lui, on l'a vu notamment le 4 août 89 haranguer les troupes en qualité de juge des députés de l'Amirauté.
Toujours selon le recensement de 1790, le n° 2 de la rue de la Pointe est propriété de Louis Marie Jeannin, maître calfat de 46 ans. Il a sous son toit le greffier de la juridiction, Jean Pellota ainsi qu'un gardien. La rue comporte 10 numéros et la batterie royale.
En tenant compte du voisinage immédiat de Coatiogan, nous pouvons affirmer qu'il habite l'ancienne maison de Justice et non l'hôtel Lauzun.
Mais où donc est l'hôtel Lauzun ?
En 1790, la numérotation de la rue n'est pas celle que nous connaîtrons dix ans plus tard. Le 16 de la rue de l'Eglise est alors une propriété du sieur Toullec et abrite de modestes commerçants, artisans et journaliers (AMB 1F15/69). Les Toullec sont bien assis à Brest. Négociant, François, le père, a pour fils Louis, armateur de navires pour Bordeaux ou encore Libourne. Il détient de la Marine le marché pour des peaux de mouton à écouvillon. En 1791, c'est Berhomé, le maire de Brest, qui parraine son fils. Lui-même sera élu administrateur municipal de mars 1798 à août 1800. Après avoir refusé le poste de maire, on le verra adjoint de 1802 à 1809 puis conseiller municipal jusqu'en 1819, date de son décès rue de Siam..
Son frère Pierre, bijoutier, administrateur de l'hôpital et juge au tribunal de commerce sera membre du District et aura moins de chance. Il finira guillotiné.
C'est au N° 26 de l'époque que se trouve l'hôtel Lauzun. Il vient d'être acquis par le sieur Smith. Les chefs de famille ? Surprise : on retrouve Jacques Rebour, maître d'équipage dit de Honfleur. Il partage les lieux avec le tonnelier Nicolas Daniélou originaire de Crozon, Noël Trouanec, un journalier cornouaillais, Yves Quiniou, gardien volant de Landerneau, la veuve Pondaven, Brestoise de 62 ans, Yves Le Meur, maître d'équipage, le calfat Jean Jacques, dit de Lanvoi, enfin Antoine Ségalen, maître canonnier brestois. On serait tenté de rajouter deux veuves résidant derrière une porte voisine : celles de Tanguy Le Guen et de Pierre Guyomar. (AMB 1F15/71)
La mort du sénéchal
Le citoyen Coatiogan est mort à Recouvrance le 20 mars 1791. On l'inhuma au cimetière le lendemain. Hélas, son adresse exacte ne fut pas portée sur l'acte de décès mais il y a tout lieu de penser qu'il trépassa dans la maison de Justice. Il avait toujours le titre de ''procureur du siège royal de Léon et de sénéchal des ci-devant juridictions du Châtel et de Gouesnou''. Deux juges du district signent son acte de décès, Piriou et Gillart ainsi que Quesnet, commissaire du roi et Brichet, syndic du district entourés de plusieurs autres. Coatiogan avait 53 ans. Son épouse mourra quant à elle à Guipavas en 1804.
Mais voici le temps de la Terreur. Le 31 décembre 1793, le duc de Lauzun, bâtisseur de nos immeubles, est envoyé à l'échafaud pour tiédeur au combat. En mai 1794, ce sont 26 administrateurs Girondins du Finistère qui sont guillotinés par le tribunal révolutionnaire de Brest. Parmi eux : Pierre-Marie de Bergevin, beau-frère de Coatiogan. Le locataire de l'hôtel Lauzun n'aura pas connu ça... Convaincu de fédéralisme, on réserve le même sort à Pierre Toullec, membre du district, le 13 juillet 1794 après son évasion.
En l'an II où la Terreur bat son plein, la rue de l'Eglise est devenue la rue du Temple le 5 messidor. Elle retrouvera son nom par décret le 15 juillet 1811.
Le Dr
Maugé achète le tribunal
Les différents sièges de l'ancienne juridiction du Châtel sont alors vendus au titre des biens nationaux. On ne sait trop quand et à qui en première main. On sait que Capon acheta la Tour Tanguy. Après Smith pour l'hôtel Lauzun, voici qu'un chirurgien de Marine met la main sur la maison de Justice : Louis-André Maugé, officier de santé né à Coutances le 11 février 1752.
Ce Normand nous est arrivé en 1773 pour achever sa formation de chirurgien. Marié en 1782 à Anne-Marie Fabry, il met un pied dans la politique de la cité en devenant administrateur de l'hôpital de 1793 à 1795. On le verrait bien entrer dans la municipalité mais il est encore dans la Royale. Alors, il attendra son heure.
Le casse-tête des noms et numéros de rues
En 1798, la rue de la Pointe est depuis le 5 messidor de l'an II, 23 juin, 1794, la rue de la Vigilance. (1F20/114). L'ancienne maison de Justice y porte à présent le n° 3. Son propriétaire, Louis André Maugé, est alors absent, en campagne en Afrique. La maison qui suit immédiatement celle de Maugé est celle d'un calfat, maître Jeannin et porte donc le n° 4..
Dans cette nouvelle configuration, a-t-on intégré à la rue de la Vigilance l'ancien hôtel Lauzun en lui attribuant les numéros 1 et 2. La maison possède une porte cochère et une entrée latérale. Mais avant le changement de nom des rues, la famille Bignon, en 1793, habitait bien au 1 de la rue de la Pointe puis au 1 de la Vigilance.
Pierre Bignon est maître canonnier, autrement dit un des principaux officiers mariniers qui commande sur toute l'artillerie et qui a soin des armes. Son frère Jean-Baptiste occupe les mêmes fonctions.
En 1798, le n° 1 appartient toujours la veuve Bignon, épicière, née Madeleine Gahagnon. Elle réside sur place avec deux enfants et sa sœur et se fera marchande de poterie. Dans sa mansarde logent le charpentier Yves Meudec et Marianne Bouroulec nantis de deux enfants. Nous allons voir que la veuve de Pierre Bignon va étendre sa propriété dans ce coin de rue et on peut s'en étonner. Comment possède-t-elle une partie de l'hôtel du Duc de Lauzun ? Depuis 1793, elle y a perdu plusieurs enfants. Que sait-on d'elle ? Qu'étant décédée, son fils sera engagé volontaire en 1812, fourrier, cassé de son grade, fusilier dans la 1ère compagnie du 6e bataillon du 70e régiment de ligne. Il mourra le 2 décembre 1813 dans un hôpital militaire en Allemagne.
Le naufrage du Séduisant
On sera moins surpris si le N° 2 reste propriété du citoyen Joseph Smith, fils de l'ancien procureur fiscal, marié à Sophie de Kersauzon. Commis de Marine, il suit les traces de son père en étant bien en vue parmi les personnalités de Brest. En 93, Joseph a fait partie des Fédérés, ce qui lui a valu un temps sa disgrâce dans la Marine. Mais on l'a réintégré.
Smith compte toujours parmi ses locataires la citoyenne Rebour, née Claudine Bozec, que nous connaissons déjà. Mais elle est maintenant veuve. Son époux, Jacques Rebour, est mort dans le naufrage du Séduisant, lors de l'expédition en Irlande. Le 16 décembre 1796, commandé par le capitaine de vaisseau Berrade, le navire s'est fracassé sur l'île Tévennec, près de Sein. Rebour est des 300 victimes déplorées parmi les 600 hommes à bord. Claudine est donc toujours à l'hôtel Lauzun mais avec le statut de débitante.
Un autre appartement est occupé par René Fourdilis et Marie-Perrine Daniélou. Enfin un troisième accueille René Brannec et deux gabarriers.
Dans l'ancienne maison de Justice, outre le ménage du propriétaire, sa sœur Thérèse Mauger vit avec un vieux pensionné de l'Etat, Jaffrézic, qui attend d'être payé tandis que son fils, commis de Marine, assure la subsistance. Il y la famille de Louis Dubault, autre commis aux vivres, celle du capitaine de frégate, Antoine de Cornier. Et voici encore un commis aux vivres et des bouches à nourrir : Robert Millet, natif de Vitry-sur-Marne. Il a été élu notable au conseil général de la commune. Dans cette maison, on relève encore le cercle familial de Joseph Smith, enfin une veuve isolée, Mme Lainec.
La mort de Smith père
Le 21 germinal de l'an VI (10 avril 1798), voici ce que nous dit l'officier d''état civil de Recouvrance : « Moi, Thomas Claude Le Breton, officier public (…) me suis transporté rue de la Vigilance, N° 3, d'après la réquisition des personnes ci-après dénommées où j'ai trouvé un cadavre mâle, âgé de 64 ans, que l'on m'a dit se nommer Joseph Gabriel Benjamin Duplessis-Smith, commissaire du directoire exécutif près le tribunal de la police correctionnelle, veuf de Marie Joseph Kerbiguet, mort hier au soir à onze heures, les témoins ont été Louis André Maugé, âgé de 45 ans, Chirurgien et Claudine Bozec, âgée de 33 ans, veuve Rebour, non parente, lesquels ont signé avec moi. »
Ainsi donc, Duplessis-Smith qui résidait ici huit ans plus tôt en compagnie de Lunven de Coatiogan est mort dans l'ancienne maison de Justice. Claudine Bozec, au mariage de laquelle il avait été témoin, est cette fois signataire de son acte de décès, ce qui témoigne d'une grande proximité entre ces personnages. Et ce trait d'union est, nous semble-t-il l'hôtel Lauzun..
En 1799, on observe que certains appartements prêtés un an plus tôt à Smith passent pour appartenir plutôt à la veuve Bignon, devenue marchande de poteries et ayant de plus son frère à sa charge (1F24/123) Un officier de Marine fait son apparition dans ce capharnaüm : Pierre Etienne Le Monnier. Ainsi Smith ne posséderait plus ici que le logement de la veuve Rebour.
Rentré malade d'Afrique à bord de l'Expérience, Maugé devient chirurgien sédentaire. En février 1801, sans doute retraité de la Marine mais médecin de ville, le voilà conseiller municipal et fabricien de l'église Saint-Sauveur.
Dans l'ancien hôtel Lauzun, rien de changé, si ce n'est que la veuve Rebour partage son espace avec le veuve Brouet. (1F28/122).
Toujours en 1801 ; la veuve Bignon reste la grande propriétaire au 1 de la rue de la Vigilance. Un marin, François Corentin Boucharet, est venu se joindre à cette communauté. On a même ajouté une baraque dans la cour pour accueillir Jeanne Julienne Le Beuze et les siens. Chez Smith, Claudine Bozec partage les lieux avec une veuve, Jeanne Riou (1F30/296).
En 1802, peu de changement. La veuve Bignon est signalée dans une boutique. Maugé est représenté lors du recensement par le citoyen Kerouman. On voit apparaît chez lui l'officier de santé Jean-Marie Rochemont, natif de Platiers, et son épouse. (1F34/268)
En 1803, l'ancienne maison de Justice porte encore le n° 3 de la rue de la Vigilance (1 F34/268). Smith fils y est toujours entouré de locataires volatiles. Maugé semble absent de l'immeuble.
Maugé achète le tout
1804 :
nous n'avons plus de N°1 dans la rue de la Vigilance. Le recensement
débute directement au N°2 qui appartient non plus à Smith mais à
Maugé. Exit les marchandes de poteries et les débitantes, voici le chirurgien major Jean-Marie Rochemont, et
un agent comptable, Joseph Lecourt. Rochemont va camper là quelque
temps. Pourquoi ce chamboulement ? On peut penser que la veuve Bignon est décédée. C'est alors que Maugé a racheté le tout.
Au N° 3, dans l'ancien tribunal, deux prêtres, les abbés Jestin et Coubrun, accompagnés de filles de confiance, ont pris place autour de Joseph Smith. Qui sont nos deux curés ? Un Jestin fut celui de Plabennec. Il a tâté de la prison pour avoir excité ses ouailles contre la constitution civile du clergé. En plus des deux ecclésiastiques, des employés de la Marine alimentent encore les revenus locatifs de Maugé.
En 1805, Rochemont est alors chirurgien-major à bord du Jean-Jacques. A Cadix, il décèle notamment une attaque de goutte chez Bigot, le pacha de l'Argonaute. Il recommanda une cure thermale à Luchon.
Numérotation inchangée en 1806 (1F39/171) et 1807 où l'on note que trois chambres et deux cuisines sont inoccupées dans notre ancienne maison de Justice (1F41/30). Ce qui confirme la vocation de ce vaste immeuble : la location. Smith cohabite en tout cas avec le ménage de sa sœur Amélie.
Chez Rochemont, au N°2, on compte 12 portes et fenêtres. Rochemont est marié à Marie Magdeleine Vallier, dite encore Vayer, veuve d'un ingénieur mécanicien, Denis Monot. Du coup, plusieurs enfants entourent le couple. L'aîné, Maximilien François Monot, a déjà 16 ans mais trois autres en bas-âge sont à la garde d'une fille de confiance, Marie Jeanne Toryel. Il y a aussi dans l'immeuble Philippe Destec, garde-magasin des vivres et Michel, un garçon de confiance.
Naissance d'un grand peintre
Un neveu du Dr Maugé vient au monde le 31 août 1807 : Félix Barret, de François-Augustin, commis aux vivres natif de Rochefort et Marie-Louise Le Bihan-Descarières. Décédée, la mère de cette dernière était la sœur du Dr Maugé. Le couple Barret s'est formé l'année précédente.
Maugé va déclarer son neveu en mairie en compagnie du grand-père de l'enfant, le Dr Le Bihan-Descarières, médecin major de la Marine, un homme originaire de Saint-Pol de Léon et qui fut trois fois marié.
L'enfant qui vient de naître va devenir un peintre réputé. Les Beaux-Arts à Paris, il exposa au Salon, il a enseigné à Brest mais aussi 20 ans à Quimper, de 1846 à 1866, notamment en compagnie d'Auguste Goy. Le musée de Brest conserve de lui le pardon de Kerinou. Il a reproduit une toile de Valentin conservée aujourd'hui à Kergoat, en Quéménéven. On lui doit aussi les illustrations du voyage en Finistère d'Emile Souvestre. Deux fois marié, il eut un fils prêtre mort à la fleur de l'âge, un autre employé au commissariat de Brest. Barret décédera rue de la Mairie à 81 ans.
En 1808, la famille Smith a quitté l'ancien tribunal pour s'établir dans la maison de la Fontaine appartenant à l'hospice. Montant en grade, Smith sera conseiller municipal jusqu'à sa mort prématurée.
Après le départ de Smith, une chambre se retrouve vacante chez Maugé. Parmi les nouveaux locataires, une institutrice, Yvonne Gludic. On la retrouvera là au cours des années qui suivent. (1F44/61 - 1F47/63 – 1F48/46 – 1F52-189). En 1809, le Dr Rochemont a fait de son fils adoptif, François Maximilien Monot, un apprenti chirurgien. Qui n'aura guère de chance...
Le brouillard se lève
En 1811, les rues aux noms révolutionnaires retrouvent leur appellation d'origine. Ce qui semble s'accompagner d'un changement de numérotation. En effet, au recensement de 1812, la maison du Dr Maugé retrouve son N° 1, rue de la Pointe. Du coup, les adresses des maisons voisines sont également décalées. (1F55/154). Quant au Dr Rochemont, il est relogé sous le toit de son confrère. La cohabitation prend bientôt fin entre les deux chirurgiens. Le Dr Rochemont ira s'établir un peu plus loin, 21, rue de la Fontaine. Il sera l'un des fondateurs de la Caisse d'Epargne de Brest en compagnie de Maugé.
Le N° 16 de la rue de l'Eglise apparaît enfin au recensement de 1813.(1F157/131) Il est noté sans propriétaire et « fermé ». Voilà qui expliquerait la migration de Rochemont d'une maison à l'autre. L'ancien hôtel Lauzun est donc inoccupé. Pour quelle raison, des travaux ?
Au recensement de 1814 (AMB 1F59/142)., c'est bien M. ''Mogé'' le propriétaire du 16. La consistance de l'immeuble est ainsi résumée : trois pièces. Elles sont occupées par Antoine Vimeur, capitaine d'artillerie de 64 ans qui dispose, au vu de l'impôt, de quatre portes et fenêtres. Il résidait auparavant rue la Pointe sous le nom de Vimeux. Car c'est un grand handicapé patronymique comme nous allons le voir.
Au recensement de 1815 (AMB 1F61/135), Antoine Vimeur est toujours là dans l'hôtel. Mais veuf. Il dispose de trois ''appartements'' et paye 100 F de loyer. Idem pour François-Auguste Barret, 40 ans, commis à la direction des vivres. Marie-Louise Le Bihan Descarières lui a donné trois enfants.
Le recensement de 1816 (AMB 1F66/113) voit la situation inchangée, si ce n'est que Vimeur, appelé cette fois Vimien, est flanqué de sa nièce, Marguerite Dubreuil.
En 1817 (AMB 1F67/246), on lui donne du Vimeuf et il est recensé seul dans l'immeuble en compagnie d'une fille de confiance.
Et l'agent recenseur, grand tortionnaire de patronymes, semble de plus en plus pressé car en 1818 personne n'est rencontré dans l'édifice (1F70/10) .
Changement de décor en 1819 (1F75/124). Les neuf pièces de l'hôtel Lauzun sont louées à Joseph Jérodiase, sous-directeur d'artillerie de Marine. De Catherine Nouel, il a un enfant en bas-âge. Marianne Bélec est la domestique. Alors, les Barret sont-ils vraiment partis ? Si oui, temporairement. Car ils seront de nouveau recensés ici.
Mariages heureux
Chirurgien major de marine en retraite, médecin de la ville de Brest, un temps conseiller municipal, Louis André Maugé est déjà veuf de Anne-Marie Fabry quand il marie ses deux filles.
Le 10 février 1819, Luc Delalun, officier de Marine demeurant à Recouvrance, épouse Caroline Maugé. Fils du capitaine du port de Granville où il est né, ce Normand est alors enseigne de vaisseau affecté à terre après avoir mené foule de campagnes. Il a débuté comme mousse puis aspirant. Avant de poser son sac à Brest et de s'y marier, il a alterné affectations à terre et embarquements. Le dernier en date était alors à bord de l'Hector, à Cayenne. Bientôt, le 11 juillet 1821, on lui décernera la Légion d'Honneur. Son couple va longtemps habiter ma future garçonnière.
Fils adoptif de Rochemont, François Maximilien éteint ses souvenirs de la rue de l'Eglise, Embarqué sur le brick l'Euryale, il est admis à l'hôpital maritime de Port-Royal, en Martinique, le 19 avril 1821 où il est décédé le 21. A 31 ans, il laisse à Brest une veuve qui se remariera et deux enfants.
Second mariage chez les Maugé le 12 novembre 1821. Ce jour-là, le Dr Michel René Le Guen, natif de Ploudalmézeau, fils d'un capitaine de barque, épouse à son tour une fille de son confrère Maugé. Elle se prénomme Marie Gabrielle Charlotte Etiennette..
Le 25 janvier 1822, Delalun reprend la mer. A bord de l'Hermione, cette fois. Cap sur les Antilles...
Félix Barré, qui a grandi au 16, rue de l'Eglise, expose pour la première fois au salon de Paris près avoir étudié aux Beaux-Arts de la capitale dans l'atelier de François Gérard. Il exposera au Salon jusqu'en 1848.
Au recensement de 1833 (1F40/62), le nom du propriétaire du 16, rue de l'Eglise, Maugé, a été barré pour le remplacer par Delalun. Et nous allons vite comprendre pourquoi. L'immeuble comporte alors une petite boutique en rez-de-chaussée, celle du jeune cordonnier Prosper Salaün et de sa femme.
Au 1er étage, le nom de M. Maugé a encore été biffé pour celui du capitaine de corvette Delalun. Avec sa femme et une domestique, il occupe tout le niveau mais aussi une chambre au second.
Là vit encore François-Auguste Barret, administrateur de la Marine en retraite, son épouse, Marie-Louise Le Bihan Descarrières et trois enfants Félix, l'aîné, mène alors ailleurs sa carrière de peintre..
Hélas, le 8 octobre de la même année, Caroline Maugé rend l'âme au 16 de la rue de l'Eglise. Elle a 40 ans. Barrrt est témoin en compagnie d'un chef de bataillon à la retraite, chevalier de Saint-Louis et de la Légion d'Honneur, Pierre-François Duprez. (7E42/66) Les mêmes vont devoir se rendre de nouveau à la mairie le 21 octobre pour déclarer cette fois le décès du père de la défunte, Louis-André Maugé, survenu la veille au même 16, rue de l'Eglise. Voilà, le Dr Maugé qui avait acheté la maison de Justice et l'hôtel du duc de Lauzun n'est plus. Il avait 82 ans.
Cette même année 1833, en recensant les occupants de l'ancienne maison de Justice, 1, rue de la Pointe. (1F16/109), on a également barré le nom de Maugé pour le remplacer par ceux de Le Guen et Hardy. Beaucoup de monde habite là.
Au rez-de-chaussée, on trouve un douanier du nom de Jean-Baptiste Maugé, 51 ans et son épouse. Erreur du scribe ? On ne connaissait que deux filles à notre chirurgien de Marine. Pas de fils douanier. Au même rez-de-chaussée, il y a aussi Jean-Pierre Mannesse, commis à l'octroi, son épouse et deux demoiselles. Louis Petitbon, autre douanier, sa femme une fille et un mineur.
Au 1er étage est le Dr Le Guen, sa femme et deux garçons en bas-âge.
Au 2e étage un charpentier du noms de Jacques-Marie Damis (?) a, avec son épouse, trois garçons et deux demoiselles. Ils ont pour voisins de pallier le lieutenant de vaisseau, Hardy. Il a de son épouse un garçon en bas-âge tandis qu'une chambre est réservée au douanier Cassagne.
Au troisième étage, on trouve un capitaine d'armes, M. Lefranc, marié, chargé de la veuve Coulon et d'un petit garçon. Dans une mansarde, une pauvre, sans état, la veuve Moudennec, partage son peu d'espace avec sa fille de 33 ans. Dans une autre mansarde se trouve Sébastien Mignard, un journalier, et sa femme. Une dernière mansarde renferme un maréchal des logis à la retraite, Novalzky, et sa femme. On le voit, l'ancien siège de la juridiction du Châtel abrite une population hétéroclite.
Près de là, au 18 de la rue de l'Eglise, la maison de la Fontaine est maintenant propriété du sculpteur de la Marine, Yves Collet. Depuis la mort de Joseph Smith, en 1829, elle est occupée par la famille de M. Le Coat-Dubois, juge de Paix.
L'ascension politique de Delalun
Le 11 avril 1835, veuf, Delalun rembarque en rade à bord de la frégate Terpsichore. Puis c'est l'Espagne, le Sénégal sur l'Endymion. Bref, il déroule une carrière bien remplie qui le mène en 1840 en Italie puis à Lisbonne à bord de l'Iguala.
Delalun est encore en mer lorsque l'agent recenseur pénètre au 16 en 1841. Au 1er, il n'y trouve que la domestique, Caroline Goulhen. Au Second, Barret n'a pas bougé ainsi que sa femme et leur fille Louise. La domestique a pour nom Jeanine Cariou, veuve Thomas.
Dans l'ancienne maison de Justice, c'est toujours la tour de Babel. Le Dr Le Guen et la veuve Hardy sont entourés de divers métiers. Les Le Guen ont à leur service Françoise Pellan. Criez dans l'escalier, et vous aurez Mme Duchon, femme d'un enseigne de vaisseau en mer, celle d'un second-maître de manœuvre, un contre-maître charpentier, des gens sans état ou pensionnés.(Arch dep. 16 M 131-132 - 841 P.238).
24 octobre 1848 : le capitaine de vaisseau Delalun prend enfin sa retraite après 44 ans de service dont 25 ans à la mer et 12 en guerre. Depuis le mois de juillet, il est alors conseiller municipal. Le 13 décembre 1849, on le nomme adjoint spécial de Recouvrance. 27 janvier 1850 : le voilà conseiller d'arrondissement, mandat qu'il abandonne le 1er août 1852, étant élu conseiller général.
Entre temps, le Dr Le Guen, son beau-frère, est décédé au 1 de la rue de la Pointe le 26 mai 1851. Il avait 56 ans. Delalun est recensé seul dans l'immeuble du 16, entouré d'Annette Lann, enfant de Daoulas, 12 ans, et d'une femme Cadiou, née Goulchen, âgée de 37 ans. (ADF Rue de la Pointe : p221)
21 décembre 1854 : le capitaine Delalun est élevé au grade d'officier de la Légion d'Honneur.
Malgré une santé déclinante, Delalun continuait de siéger au conseil général. Il en était le doyen. A ce titre, il aurait dû présider la séance du 25 août 1863. Ce fut au-dessus de ses forces. Le 28 décembre 1866, le capitaine de Delalun mourut au 16 de la rue de l'Eglise. Les deux témoins du décès furent Jean-Marie Barret, commissaire adjoint de la Marine en retraite, fils du Barret aperçu 16, rue de l'Eglise. Barret à la Légion d'Honneur depuis quatre ans. Il est accompagné de Camille Marie Hardy, notaire à Lesneven.
Au conseil général, le 1er janvier suivant, le président Conseil rend brièvement hommage à son caractère loyal, ses qualités d'homme de bien. Delalun laissait pour héritier un neveu homonyme et officier de Marine. C'est l'un des personnages de Cœurs de marins, du baron Deslandes, paru en 1894.
Avec la mort de notre vieux loup de mer goudronné prend fin l'ère des figures en vue de Brest au 16 rue de l'Eglise. On donne un journalier du nom d'Hervé Le Lann comme occupant l'immeuble en 1866 avec toute sa famille issue de Claudine Kermarrec. Or, Delalun est mort fin décembre. (ADF 1866 P70).
L'avènement des Le Guen
Le 9 avril 1866, il épouse à Lorient Adeline Joséphine Marie Philippe de Kerarmel.
En 1868, il est adjoint spécial de la ville de Brest et enregistre notamment la naissance de Louise Mainberte, née d'un de mes cousins maternels, musicien dans la Musique des équipages de la Flotte. Le Guen se présente comme candidat monarchiste à l'Assemblée nationale, lors de l'élection complémentaire du 2 juillet 1871. Il s'inclina devant le dernier élu républicain.
La veuve Lefèvre dont un fils est armurier, le cordonnier Voissel ou encore le maître de manœuvre Thomas, entourés de leur famille, confirment la destination du 16 en 1872 (ADF p.70) : il est voué à la location et non plus au logement de la famille. On compte aussi dans l'immeuble une femme seule : Françoise Lannusel. 13 locataires sont recensés.
La veuve du Dr Le Guen et ses héritiers sont attestés en 1873 comme propriétaires du 16, rue de l'Eglise. Mais Mme Le Guen mourut le 27 juillet de cette année-là dans l'ancien tribunal. Notaire à Lesneven après avoir vécu lui aussi rue de la Pointe, son neveu, maître Hardy, en fit la déclaration en compagnie du cousin de la défunte, Félix Barret, "artiste peintre demeurant à Brest".
Le 14 décembre 1873, Le Guen échoua encore, à une élection partielle, motivée par le décès de M. de Tréveneuc et fut battu par, M. Swiney.
En 1876, voici les familles du 16 : celle de la veuve Lefèvre, Les Janin qui, comme leurs voisins, comptent également un armurier, Les Jurdey dont le mari est retraité de la Marine, enfin la veuve Kerinec. En tout, 19 personnes vivent dans l'ancien hôtel du duc de Lauzun. (ADF, 6M 148-150, 1876, P. 87)
1881, au 16 de la rue de l'Elise, on compte les familles du second-maître Julien Poulmarch, Guillaume Cousseau, ouvrier, Jules Le Moign, marin, Marie Guerranie, une isolée, enfin les Lefèvre, dont l'armurier, sont toujours là. Soit 15 locataires (P. 143)
A côté, rue de la Pointe, les Leguen occupent toujours une place majeure dans l'ancienne maison de Justice. Le recensement du N° 1 totalise 14 ménages, soit 60 personnes ! On a du forgeron, du marin, du distributeur, de l'ouvrier, du retraité. On imagine les revenus de la famille Le Guen. Mais elle a encore de l'appétit...
Le 5 novembre 1882, le décès de M. de Forsanz ouvre à Le Guen les portes du Sénat. Elu avec 197 voix sur 385 votants, il siége à droite, et votera constamment avec la minorité monarchiste : contre le rétablissement du divorce ! contre les crédits de l'expédition du Tonkin !
Il obtint le renouvellement de son mandat, le 25 janvier 1885. Mais son élection est invalidée le 26 juin suivant comme celle de ses collègues du Finistère. Il est définitivement réélu, le 26 juillet et reprend sa place à droite avec ses votes contre. Contre l'expulsion des princes. Contre la nouvelle loi militaire. Enfin contre le rétablissement du scrutin d'arrondissement, contre le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse, contre la procédure de la Haute-cour contre le général Boulanger....
Avec ses revenus, le Guen dispose d'un pied-à-terre parisien au 83, rue d'Assas et c'est lui qui, aurait ajouté entre 1886 et 1891 un troisième étage à la maison sise rue de l'Eglise à Recouvrance. Le fronton de l'immeuble fut donc démoli et l'appât du gain semble motiver cette bévue architecturale. C'est dans cet ajout, à l'arrière que j'ai vécu.
Avant travaux, en 1886, le 16 compte deux ménages : ceux d'un employé du service administratif, Eugène Le Goascoz, du charpentier Armand Mingand auxquels il faut rajouter une isolée, Eugénie Lefèvre, 24 ans. Neuf locataires recensés (P. 208). Ce chiffre va tripler.
L'alliance avec les Carof
Le 8 janvier 1889, Adeline Le Guen, fille de notre avocat, épouse Auguste Carof, négociant à Ploudalmezeau, dans l'église Saint-Sauveur de Brest. L'abbé Fonssagrives, directeur du cercle catholique du Luxembourg et oncle à la mode de Bretagne de la mariée, bénit les époux et prononce une touchante allocution (Voy. l'Océan, de Brest, et le Petit Breton du 12 janvier). Fabricant d'iode, Carof est historien à ses heures. Il laissera un ouvrage sur le passé de Ploudalmézeau. Il suscitera aussi la réouverture de la station de Portsall des Hospitaliers sauveteurs bretons.
La maison vue de profil. J'habitais au dernier étage, derrière la 1ère fenêtre à gauche. (D.R.)
Dès 1891, sept ménages sont recensés. Les chefs de famille sont Marie Le Gall, veuve et son fils ajusteur, Charles Costroy, le carrossier Charles Cran, Joseph Bernard, un marin, Jean Pichon, un marin, Francine Bourguignon, une tailleuse veuve entourée de ses cinq enfants, le retraité Eugène Hemont enfin Hippolyte Lestang, magasinier. Soit 30 personnes (P. 76)
En 1896, six ménages peuplent la maison : ceux du journalier Jacques Kéméneur, de Marie Le Saout et sa fille, sans état, du journalier Jean-Marie Jaffrée, Marie Furet, veuve et seule, Gustave Gougette, maître charpentier et Yves Helary, quartier-maître de mousqueterie. Soit 22 locataires. (P. 78)
1901 : la famille Jaffrée est toujours là mais l'épouse, Louise Kerdoncuff, n'a plus son mari à ses côtés. Un des ses fils est second-maître timonier. Nous avons un dessinateur de l'Etat, Alexandre Bescond et son épouse. La famille de Jacques Le Géval, ouvrier du port, comme Auguste Coat, veuf avec deux enfants et Alain Simon, Enfin la veuve Lemasson, née Furet vit avec son fils Auguste, mécanicien général de l'Etat. (P. 330).
1906 : on recense les ménages de Marie Quéma, veuve avec deux enfants, Sylvestre Cresméas, un retraité, Alexandre Bescond, un surveillant technique, Alain Simon, ouvrier au port, Jacques Le Geval, devenu lui aussi surveillant technique, Marie Furet, veuve vivant seule, Maire Cloarec, veuve aussi avec un enfant tout comme Jeanne Alix. (P.72)
La fin des Le Guen
En 1908. l'épouse de Maître Le Guen est vice-présidente de la Croix Rouge. Le couple Le Guen-Kerarmel eut onze enfants. Plusieurs sont morts en bas-âge. Un fils : Joseph Marie, qui sera engagé militaire et connu comme sous-lieutenant dans l'Infanterie en 1910. Il y eut aussi Adeline, mariée avec un industriel et négociant, Auguste-Marie Carof. conseiller d'arrondissement de Ploudalmézeau. A son tour, leur fils fut maire de cette commune. Il est décédé en 1983.
Clin d'œil de l'histoire, en 1911, le recensement fait apparaître un Lunven dans l'ancien hôtel du duc de Lauzun. Mais celui là n'est pas de Coatiogan. Il est manœuvre et se prénomme Yves. On a aussi Joseph Hamon, dessinateur, la veuve Marie Guennou, de Plougastel, dont deux enfants sont armuriers, François Soubigou, de Plougastel aussi, quartier-maître torpilleur, la veuve Lemasson, la famille de Jacques Le Géval, passé contremaître, celle de Pierre Rannou, d'Elliant, agent de police, enfin celle de Gabriel Nicolas (P. 61)
En 1911, le cercle s'est restreint autour de Le Guen. Son épouse, sa fille Marie et une domestique, Marie Salou, de Landunvez. (P 165). En 1912, la grande chancellerie est sans nouvelle de Maître Le Guen depuis 25 ans.
L'entre-deux guerres
Il n'y eut pas de recensement pendant dix ans, Grande-Guerre oblige. Au 16, en 1921, on compte les familles d'Auguste Jézéquel, Jean-Guillaume Raoul, marin de direction originaire de Crozon, Adolphe Creff, mécanicien à la chambre de Commerce et dont un fils est marin d'Etat, Joseph Kervella, ouvrier du port, celle de Jacques Le Géval, maintenant retraité, est toujours à poste, Marie-Jeanne Rannou est recensée sans son policier de mari et a un fils boulanger, un autre apprenti cuisinier chez Perrot, enfin Joseph Louis Hamon est marin de direction. (P. 54)
Dans l'ancienne maison de Justice, la famille Le Guen n'apparaît plus après un siècle de présence. (P. 144) Et pour cause. La mère, Adeline Philippe de Kerarmel est décédée chez sa faille aînée, à Ploudalmézeau le 27 juin 1915. Edouard Le Guen lui survivra trois ans. Il s'est éteint le 6 février 1918 à Recouvrance.
1926 : on trouve 16, rue de l'Eglise, les familles de Yves Le Roy, forgeron à l'arsenal, Joseph Louis Hamon, Adolphe Creff, désormais à la retraite, le veuve Le Roux et ses enfants, les Géval, les ménages d'Yves Le Berre, dont un fils est quartier-maître, de Jean-Guillaume Raoul, réformé, de Jean Bléas, un veuf. (P. 52)
1931 : Familles de Henry Le Corre, de Landudec, réformé, Joseph Hamon, retraité, Eugène Sinou, ouvrier à l'arsenal, les Géval, Yves Le Berre, retraité, Annette Raoul, Jean Le Stum, marin, d'Argol. (P. 52)
1936 : familles de Marie Hamon, Henri Le Corre, Eugène Sinou, Yves Le Berre, les Géval, Jean Le Stum, Annette Nicolas et sa fille. (P. 460)
Après les bombardements
L'ancien hôtel et son tribunal sont des miraculés. Alors que Brest fut détruite à 80%, ces maisons font partie des rares édifices encore debout après les bombardements avec le château, la tour Tanguy ou encore l'église Saint-Sauveur.
1946. Familles de Marthe Le Corre couturière, Auguste Le Goie, lithographe, Yves Le Berre, retraité, Viana Santos, conducteur portugais, avec deux Géval, Eugène Sinou... (1F91/688)
En 1954, le 16 abritait cinq logements. Il y avait là les familles de Lucien Le Gal, chef d'équipe à l'arsenal, André Le Berre, métreur, Ilidio Dos Santos-Viana, mécano portugais, Eugène Sinou, mécanicien, Annette Raoul-Nicolas, la doyenne, sans profession. (1F95/97)
En 1992, la fontaine fut remise en eau par des ateliers d''insertion. La maison qui lui sert de support est un lieu d'expostion. La "mienne" accueille les touristes en location. Cette maison, la première où j'ai pu me dire chez moi, a beaucoup compté dans ma vie, même si mon séjour n'y fut que de quelques mois. J'ai découvert depuis qu'avant moi, un petit-cousin natif de Jumièges, avait vécu à Recouvrance. Il s'appelait Camille Mainberte, tour à tour musiciens de la flotte des équipages, gardien du port de Brest, boulanger et enfin ouvrier tonnelier. Il eut plusieurs enfants dans le quartier dont un mort pour la France, l'autre titulaire de la Légion d'Honneur et président national des débitants de tabac. Mais c'est surtout un troisième garçon, Charles Joseph, qui fit parler de lui en 1890. Quartier-maître à bord du Borda, il déroba une collecte en faveur des incendiés de Fort-de-France. Sa mère remboursa la somme mais il ne le savait pas. Il se donna la mort dans une maison-close. Un siècle après ces cousins, je suis venu sans le savoir sur leurs pas. Et sans le savoir, c'est chez l'amant de Marie Antoinette que j'ai vu s'envoler ma vertu. Avouez que l'endroit s'y prêtait...
Laurent QUEVILLY.
Etat civil et recensements, archives de la Ville de Brest et Départementales.
Brest a aussi son hôtel de Lauzun, André Kerdoncuff, Les Cahiers de l'Iroise, N° 184, Oct. 1999.
Elites, pouvoirs et vie municipale à Brest, 1750-1820, Bruno Baron 2012.
Dictionnaire des parlementaires français, Adolphe Robert, 1891.
Généalogie de Arnaud Wassmer, journaliste, descendant direct des Maugé.
Pourtant qui a vécu ici garde un souvenir lumineux de sa petite patrie. Tenez, le carillon tinte à mes oreilles, comme si je venais de pousser la porte de chez Bidaux de chez Berneval, ces épiceries de campagne peuplées de mille trésors. Je tends mon billet de commission. Sans un mot, la dame en sarreau remplit le filet à provisions. Elle y entasse pêle-mêle des souvenirs : la blouse grise de "Bouboule" et son sifflet strident, les chemins de la forêt roussie par l’automne, "Le train sifflera trois fois" projeté à la salle des fêtes, les moustaches en chanvre du garde champêtre...
Et voilà que le chauffeur de la CNA peste encore contre nos chahuts au fond du car. Je glisse ma pièce de 20 centimes dans le juke-box à Jeannette. Une Traction-avant peine dans l’ascension d’une côte Béchère enneigée. La tignasse frisée, les bacchantes et la canadienne de Bijou, un marginal, viennent nous rappeler Brassens.
Yainville !.. Oui, qui a vécu ici refera toute sa vie le trajet qui mène à la ferme, derrière l’église. Notre madeleine de Proust, c'est l’odeur chaude du petit pot de lait rempli avec onctuosité par la mère Godard. Cette même odeur qui remplit l’école tous les jours à quatre heures grâce aux bons auspices de Monsieur Mendès-France.
La maison de mon père est vendue depuis belle lurette, en songe, je reste posté à la fenêtre de ma chambre. Et j’aperçois au loin d’énormes cargos filer, silencieux, comme s’ils flottaient dessus les arbres. De mon lit, j'entends encore la plainte de la corne de brume déchirer les brouillards du petit matin. Même s’il n’est plus, le capitaine Chéron effectue toujours sa savante manœuvre dans le mitan de la Seine. Des grincements dans la rue : voilà les brasseurs de cidre, caparaçonnés comme des cap-horniers. Des cris à présent : c’est le récupérateur de peaux de lapins. A moins qu’il ne s’agisse du rémouleur.
La centrale est-elle détruite, sa sirène percera la torpeur du jour à six heures moins le quart précises. Sur la route qui s’enfuit du village, le goudron achève de fondre au soleil de juillet. Tout au bout, la chaleur ondule sur les gravillons. Elle danse dans l’éternité des grandes vacances. Chaque année, nous irons à la remise des prix écouter sans y rien comprendre les discours chaotiques de Gaston Passerel, le premier des Yainvillais.
Chaque année, nous
irons chercher au Noël de la commune le bâton de sucre d'orge, l’orange à la
peau épaisse. On frappe à la porte de toutes ces rêveries. C’est l’abbé Coupel
qui vient chercher secours. Sa 4cv noir corbeau est encore en panne...
Je tiens la presqu'île de Jumièges pour la plus belle des boucles de la Seine. Une étroite péninsule mangée dans sa moitié par une ancienne forêt royale. Le reste de ce doux paradis est tapissé d'un vert épais constellé aux beaux jours de boutons d'or, de pâquerettes et coquelicots. Des armées de fruitiers recouvrent le tout. Là-dessous, les basses-cours vous tiennent en permanence un bruyant colloque. La chaumière avoisine la demeure de briques rouges et celle de calcaire blanc. Mais ce confetti de Normandie est surtout dominé par les ruines romantiques d'une gigantesque abbaye. Un millénaire durant, ses moines auront régi tout le pays. Bien que chassés par la Révolution, on devine encore leur présence. Car il flotte dans l'air comme un parfum de religiosité qui contrastait avec le communisme des chantiers navals, un peu plus loin sur le fleuve. Les vieux livres disaient que ce méandre resserré concentrait légendes et superstitions comme seule en regorge l'Armorique.
Yainville était la porte de tout cet univers fermé, un peu figé sur son passé. Mais Yainville vivait avec son temps. Ses quelque 330 hectares avaient bien toute une histoire. Un fossé défensif barrant à l'origine toute l'entrée de la presqu'île. Bâtie sur son dos, l'église paroissiale est du XIe siècle. Pas si fréquent. Avec des lignes de toute beauté, elle présente en outre une curieuse ressemblance avec celle de New-Haven Derrière cet édifice, une ferme-manoir passe pour avoir caché la Brinvilliers. Nous verrons ce qu’il en est.
Un autre manoir, plus récent, a été la résidence d'été de Sacha Guitry. Les maisons les plus anciennes sont du XVIIe. Jadis cours de l'Austreberthe la plaine de Yainville a bien failli accueillir celui de la Seine quand Vauban eut l'idée d'y creuser un canal pour raccourcir la navigation. On en voit encore l'entaille.
Près du fleuve, à d'importantes carrières a succédé une centrale électrique au début du XXe siècle. Son développement devait valoir à Yainville de figurer un temps dans nos manuels de géographie, chapitre ressources énergétiques. Dans cette portion de la vallée de la Seine, la commune faisait alors figure de société avancée. Socialisante. La sirène d'EDF régentait toute la vie du village qui s'était agrandi d'une cité, d'une salle des fêtes... Et puis est venu le nucléaire. On détruisit cette cathédrale thermique de briques rouges qui semblait pourtant dressée à jamais. Le pendant moderne des ruines de l'abbaye.
Mais Yainville, heureusement, ce n'était pas qu'EDF. Qui s'est lavé les mains au savon Lechat, qui a croqué des chips Flodor, qui s’est servi de couverts Christofle a eu un rapport inconscient avec la commune qui nous intéresse. Yainville a su se reconvertir. On y compte toujours quelque 1.200 habitants quand il y en avait cinq fois moins un siècle plus tôt. C'est que de nouvelles entreprises se sont implantées alors que l’agriculteur nous salue de loin, avec ses moutons, ses vaches. Plus qu’au fond de la presqu’île, Yainville s'est toujours montrée entreprenante. Mais là n'est pas notre propos...
« Une commune où il fait bon vivre ! » Dans tous les villages de France, les maires ponctuent leurs bulletins municipaux avec cette même formule surannée. Mais à Yainville, elle sonnait juste. Alors, nous avons voulu mettre ici en commun nos souvenirs, brosser le portrait de personnages attachants, revisiter des lieux inspirés, revivre des rites. En un mot, écrire la chronique d'un tendre village normand. Courons vite aux fossés inondés où grouillent les têtards, dévalons encore une fois l’immense talus qui barre la péninsule, allons en procession jusqu’à la chapelle forestière…
Laurent QUEVILLY.